Résumé Le but de cet article est de montrer que l’étude minutieuse du trajet de la notion de bon sens dans la pensée de Bergson, au croisement de réflexions sur le normal psychologique, les normes sociales, et l’action morale, révèle au sein de son œuvre un ensemble de profondes tensions entre la question de la nature de la santé mentale et de celle de l’aptitude morale. Haut de page Entrées d’index Haut de page Texte intégral 1 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, Mélanges, Paris, PUF, 1972, p. 370. 1La notion de bon sens, mentionnée explicitement dans la plupart des ouvrages de Bergson, depuis Matière et Mémoire jusqu’aux Deux sources de la morale et de la religion, ne constitue pas à proprement parler un concept central de la pensée bergsonienne, ne serait-ce qu’en vertu du peu d’importance qui lui est, quantitativement, accordé. Cela dit, après l’avoir examinée pour la première fois en détail dans le discours de remise des prix du concours général prononcé le 30 juillet 1895 et intitulé Le bon sens et les études classiques, Bergson n’aura de cesse de revenir sur la définition de cette notion et sur la description de la réalité à laquelle elle renvoie. L’étude de cette notion a donné lieu à des interprétations très différentes chez les commentateurs et il semble que cela soit dû à deux facteurs premièrement, cherchant pour la plupart à considérer la notion de bon sens comme un bloc homogène malgré certaines contradictions manifestes entre les différents ouvrages, ils n’ont pas assez pris en compte les évolutions et modifications qui ont marqué le trajet de la notion de bon sens dans le corpus bergsonien depuis le discours de 1895. Deuxièmement, il semble que la plupart d’entre eux ait accordé une trop faible importance à la distinction que Bergson opère dans Les deux sources de la morale et de la religion, entre un bon sens ordinaire et un bon sens qu’il désigne comme bon sens supérieur ». Ainsi, sans céder à la tentation de produire une exposition plus systématique de la doctrine et aussi l’apparence d’une clarté supérieure »1, nous souhaiterions mettre en avant le fait que l’examen attentif des variations subies par la notion de bon sens permet de mettre en lumière le trajet de la pensée de Bergson elle-même en ce qui concerne la question de l’action juste et plus largement, du champ de l’activité morale. 2 Ibid., p. 364. 3 Ibid., p. 360. 4 H. Bergson, L’énergie spirituelle, op. cit., p. 893 Cela, c’est veiller, c’est vivre la vie psy ... 2En effet on peut remarquer, dès le discours de 1895, l’entrecroisement de deux lignes dans la définition du bon sens il est posé à la fois comme une santé mentale, comme le bon fonctionnement de l’esprit qui permet son adaptation souple, sa disponibilité à l’égard d’une réalité se renouvelant sans cesse, mais aussi comme un instrument, avant tout, de progrès social »2, mu par ce que Bergson désigne comme l’esprit de justice ». Cette binarité est reprise dans la lettre à O. Gérard, préambule du discours dans l’édition des Mélanges le bon sens est la faculté de raisonner juste, non seulement sur ses propres affaires, mais encore et surtout sur celles du pays »3, le bon sens étant caractérisé à la fois par la justesse de son adaptation et la justice de son action. Or, il apparaît très vite que les ouvrages immédiatement ultérieurs ne reprennent et n’approfondissent que la première dimension de cette définition, faisant du bon sens une forme originale de santé mentale, pensée comme effort et comme équilibre. À partir du Rire puis dans l’Évolution créatrice, cette caractérisation du bon sens comme vie psychologique normale »4 s’enrichit d’une réflexion sur la dimension proprement sociale de la réalité humaine le bon sens, sens social défini comme souple disponibilité à l’égard de la fluidité des échanges humains, intègre à présent un certain nombre de normes et de paramètres sociaux dans son fonctionnement. C’est cette dépendance du normal psychologique à l’égard des normes sociales que nous envisagerons dans un premier temps. 3C’est seulement dans Les deux sources de la morale et de la religion, sur la base d’une réflexion sociologique renouvelée qui distingue à présent deux types de sociétés c’est-à-dire, deux types de rapports entre individus et normes sociales et deux types de justices, que le bon sens retrouve la dimension morale comme facteur de progrès social produisant des actions justes que le discours lui prêtait. Mais ce retour ne se fait qu’au prix de la distinction entre un bon sens supérieur et un bon sens ordinaire qui permet, certes, de résoudre les difficultés posées par le discours de 1895, en expliquant par le bon sens supérieur » la possibilité d’une action créatrice de normes, mais qui semble cependant remettre en question la définition du normal psychologique donnée précédemment, ou qui suggère tout du moins l’existence d’un conflit latent entre la morale et le normal dans la pensée bergsonienne. Nous examinerons donc en second lieu cette distinction capitale, qui met d’autant plus en jeu le rapport de la définition du normal » à la problématique morale selon laquelle l’individu moral, le mystique, est un individu anormal en au moins deux sens, qui se trouvaient au cœur du bon sens ordinaire d’une part, en échappant à l’égoïsme et la loi du talion qui prévalent dans la société close, il ne s’adapte plus aux normes sociales mais les modifie ; et d’autre part, sa singularité s’exprime par des manifestations pathologiques, qu’elles soient appelées délire mystique ou perceptions anormales ». 5 Id., Matière et mémoire, Œuvres complètes, op. cit., p. 294 Entre ces deux extrêmes [l’impulsif ... 6 Il est, dans Le Rire, continuité mouvante de notre attention à la vie », Œuvres, op. cit., p. 475 ... 7 Ibid., p. 475. 8 Matière et Mémoire, op. cit., p. 296‑302. 9 Mélanges, op. cit., p. 620. 10 Le Rire, op. cit., p. 476. 11 V. Jankélévitch, Henri Bergson, Paris, PUF, 2008, p. 127‑128. 12 H. Bergson, Mélanges, op. cit., p. 620 Tous ne sont pas capables de cette vie de travail, tous ... 13 Dans Matière et Mémoire, Bergson semble encore n’attribuer à l’aliénation que des causes biologique ... 4 Un bref examen du bon sens tel qu’il est caractérisé depuis Matière et Mémoire jusqu’à l’Évolution créatrice permet de voir combien le normal, la santé mentale qu’il incarne, est déterminé par les exigences vitales et sociales à partir de Matière et Mémoire, le bon sens apparaît en effet à la fois comme un équilibre psychologique entre deux tendances ennemies de l’action, la tendance corporelle à l’automatisme et la tendance spirituelle au rêve5, et comme effort d’attention à la réalité6. Il est en effet présenté comme une tension visant à tenir à égale distance les souvenirs issus des deux pôles opposés du moi que sont la mémoire corporelle et la mémoire pure et qui cherchent à s’insérer dans la perception présente. Agissant en amont du travail discriminant de la conscience en laiss[ant] tous les souvenirs dans le rang »7, le bon sens déblaie le terrain à partir duquel celle-ci sélectionnera, en s’appuyant sur les formes motrices, la schématisation des souvenirs purs, les lois du rappel et la condition générale de ressemblance, le souvenir apte à s’intégrer profitablement à la perception présente pour l’informer. En tant que sens pratique », il est gage de souplesse dans la prise en compte de la réalité présente et muselle la tendance à agir mécaniquement, sous l’impulsion de la reconnaissance automatique qu’a la mémoire habitude des idées générales »8 dans la perception. En tant que sens du réel »9, il est lié à la veille et est un effort de tension contre l’évasement, la diffusion des souvenirs purs qui caractérise la dérive pathologique de Don Quichotte, en qui la mémoire pure a pris l’ascendant et qui, au lieu d’utiliser ses souvenirs pour percevoir de manière adaptée, se sert au contraire de ce qu’il perçoit pour donner un corps au souvenir préféré »10. En tant qu’ oubli réglementé et durable, […] art de liquider son passé »11, le bon sens s’insère dans une conception du normal fondée sur l’idée que la santé mentale résulte d’un effort de tension qui s’écarte donc par degrés du pathologique qui peut résulter alors d’une forme de paresse psychologique telle qu’elle a été identifiée par Pierre Janet chez les psychasthéniques12, telle qu’elle s’exprime surtout à partir de l’Energie spirituelle13. Par cet effort de tension, l’individu se rend capable de fournir une réponse ajustée aux circonstances et à ce que requiert la situation, le bon sens est donc lié aux exigences vitales qui déterminent l’adaptation de l’individu, la survie individuelle. 14 Le Rire, op cit., p. 450. 15 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1065. 16 Guy Lafrance, La philosophie sociale de Bergson, sources et interprétation, Ottawa, éditions de l’u ... 17 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1065. 18 Ibid., p. 1065. 19 Ibid., p. 1065. 5Même si Bergson distinguait déjà dans le discours de 1895 le milieu naturel, domaine d’action des sens, du milieu social », domaine d’action du bon sens, c’est seulement à partir du Rire qu’il entame une analyse de la dimension proprement sociale de l’existence, et c’est aussi dans cet ouvrage que le bon sens, dont l’opposé est désormais le comique [qui] exprime avant tout une certaine inadaptation particulière de la personne à la société »14, se précise sous l’aspect d’une adaptation au réel dans sa dimension sociale. Cet aspect de la notion se retrouve, très fortement accentué, dans Les deux sources, où le bon sens est non seulement décrit comme sens social » mais encore caractérisé comme inné à l’homme normal »15 cette innéité qui équivaut à la préfiguration de la société dans l’individu »16, s’explique par la nécessité pour la nature de donner à l’homme des directives, au moins générales, pour la coordination de sa conduite à celle de ses semblables »17. Aussi, s’il n’y a nul doute que notre structure psychologique ne tienne à la nécessité de conserver et de développer la vie individuelle et sociale »18, cela signifie que le bon sens embrasse dans sa compréhension de la situation présente la compréhension des normes qui régissent l’agir en société et, par conséquent, que celles-ci s’intègrent à ce qui fait chez Bergson la santé mentale. Ainsi, le délire d’interprétation » qui se caractérise par une incapacité à comprendre le comportement d’autrui, résulterait, selon Les deux sources, d’un défaut de bon sens qui s’expliquerait in fine par une insuffisance psychique […] congénitale »19. Le bon sens prend donc ici les traits d’une prédisposition à s’adapter avec fluidité aux impératifs sociaux, c’est-à-dire d’une souplesse adaptative prédéterminée, point qui marque sans conteste une originalité de la pensée biologique et sociologique bergsonienne. 20 Le Rire, op. cit., p. 457‑458. 21 Ibid., p. 451. 22 Ibid., p. 457. 6Déjà, à travers les mutations subies entre l’Essai et le Rire par la notion de caractère » qui devient dans le Rire ce qu’il y a de tout fait dans notre personne, ce qui est en nous à l’état de mécanisme une fois monté, capable de fonctionner automatiquement »20, apparaît une tension entre l’idée, exprimée dans le discours, que le bon sens aurait partie liée avec la liberté du moi telle qu’elle était évoquée par l’Essai, et sa définition comme capacité de souple adaptation sociale dans le Rire. En effet, il faut remarquer non seulement que cette adaptation à la mouvance de la réalité sociale aurait peut-être été jugée automatique du point de vue de l’Essai en tant qu’émanant des couches superficielles du moi comme dans le fameux exemple du réveil, mais encore que la critique de l’automatisme dans le Rire effectue un renversement puisqu’elle n’est plus tournée contre ce qu’une action peut avoir d’impersonnel mais bien contre ce qu’elle peut avoir de trop personnel au détriment d’une prise en compte des autres est comique le personnage qui suit automatiquement son chemin sans se soucier de prendre contact avec les autres »21 et qui néglige de regarder autour de soi »22. S’il est possible de considérer, pour résoudre cette tension, que le bon sens a partie liée avec la transition du moi profond vers le moi superficiel, nécessaire à l’insertion de l’esprit dans la matière en amont de l’insertion dans une situation sociale, il n’empêche qu’elle apparaîtra à nouveau dans la distinction entre bon sens ordinaire et bon sens supérieur, sous la forme d’une tension entre une impulsion venue du moi profond et s’imposant à l’extérieur et une impulsion venue de l’extérieur s’imposant, en le solidifiant, au moi profond. 23 Bergson fait référence de manière explicite à la conception cartésienne du bon sens dans le discour ... 24 H. Bergson, Le Rire, op. cit., p. 452‑453. 7Si la description du bon sens ordinaire a mis hors-jeu la problématique de la justice et de l’action morale en charge du progrès social telle qu’elle était exprimée dans le discours de 1895 et qui rappelait le lien établi par Descartes entre bon sens et recherche d’une vérité pratique23, c’est précisément d’une part parce que le principe selon lequel le vital engendrerait le social qui engendrerait à son tour le normal, que Bergson pose au fondement même de sa définition de la santé mentale, contribue à substituer à la problématique de la justice de l’action celle de la justesse de l’adaptation. D’autre part, cela est incontestablement lié à l’examen du fonctionnement de la vie sociale auquel Bergson se livre dans Le Rire puis dans Les deux sources, et qui lui a permis d’affirmer dès le premier de ces ouvrages qu’ être en règle avec la stricte morale » n’a rien à voir avec le fait de se mettre en règle avec la société »24 le bon sens, devenu faculté d’adaptation souple au réel social et d’insertion bien ajustée dans le tissu humain, apparaît définitivement lié à cette seconde opération. Reste à présent à examiner, sur la base même de cette définition de la santé mentale et de son lien avec la vie sociale, comment la notion de bon sens supérieur se trouve au cœur d’un renversement de la pensée bergsonienne prenant corps dans Les deux sources et qui a pour but de rendre possible l’action morale. 25 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 26 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1174. 27 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 366. 28 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1056. 29 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 362. 30 Ce que Guy Lafrance appelle une justice intuitive », cf. La philosophie sociale de Bergson, sourc ... 31 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 32 Ibid., p. 362. 33 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 34 Ibid. p. 1172. 35 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 36 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1017. 8C’est parce que le bon sens est au cœur de la réflexion bergsonienne sur le rapport de l’individu aux normes sociales et sur la justice que l’étude de cette notion permet d’aborder sous un jour nouveau l’itinéraire et l’évolution de la pensée bergsonienne concernant l’action juste. Cette problématique, laissée de côté de Matière et Mémoire à l’Évolution créatrice, réapparaît dans Les deux sources et la plupart de ce qui était posé à titre de postulat dans le discours de 1895 y est repris, repensé et intégré à la problématique plus vaste d’une réflexion sur les rapports qui unissent morale et société. Le discours de 1895 apparaît donc comme un programme, un ensemble d’intuitions abandonnées en l’absence d’un appareillage conceptuel suffisant. Il est important de souligner les correspondances qui existent entre les deux œuvres pour mieux comprendre ce qui explique l’abandon puis la reprise de la problématique morale dans la définition de la notion de bon sens dans l’œuvre de Bergson. Ainsi, l’idée d’une action de bon sens orientée vers le progrès de l’ensemble de la société était soutenue dans le discours par le pressentiment d’un lien unissant principe de la vie et capacité à produire des actions justes et progressistes de la part de l’individu de bon sens. Bergson y affirmait en effet de la notion de bon sens si elle porte ainsi avec elle l’intelligence de la vie, c’est sans doute qu’elle en a touché le principe »25, cette idée essentielle d’un fondement de la morale dans la prise de contact avec le principe de la vie se retrouve dans Les deux sources où Bergson évoque au sujet des agents du progrès humain l’action de l’élan de la vie, cet élan même, communiqué intégralement à des privilégiés qui voudraient alors l’imprimer à l’humanité entière »26. Et de fait, à l’idée exprimée dans le discours selon laquelle il est rare que la nature produise spontanément une âme affranchie et maîtresse d’elle-même, une âme accordée à l’unisson de la vie »27, répond l’affirmation des Deux sources selon laquelle les mystiques et les êtres novateurs constituent en eux-mêmes une espèce nouvelle composée d’un individu unique »28. En outre, la définition du bon sens comme ignorance consciente d’elle-même »29 dans le discours de 1895 trouve un écho dans la définition du bon sens supérieur donnée dans les Deux sources comme innocence acquise », Bergson ajoutant dans les deux cas que cette ignorance doit s’accompagner d’un effort. Là n’est sans doute pas pourtant le plus important en effet, la principale difficulté du discours est l’affirmation selon laquelle le bon sens produit irrémédiablement les actions les plus justes possibles30 dans un contexte donné, sans qu’il consiste pourtant ni dans une expérience plus vaste, ni dans des souvenirs mieux classés, ni même, plus généralement, dans une logique plus rigoureuse »31, arguant qu’il choisit la meilleure solution à une situation donnée parce qu’il peut en prévoir [l]es conséquences, ou plutôt les pressentir »32. La question de l’infaillibilité morale de l’action de bon sens est finalement abordée à nouveau par Bergson lorsqu’il évoque dans Les deux sources le bon sens supérieur des mystiques, en termes de discernement prophétique du possible et de l’impossible »33 qui fournit du premier coup la démarche utile, l’acte décisif, le mot sans réplique »34. De plus, on retrouve enfin clairement exprimée l’idée que le bon sens est, comme on pouvait le lire dans le discours, un instrument de progrès social »35, puisque Bergson, qui fait du bon sens supérieur l’apanage des mystiques, gratifie ceux-ci d’une capacité essentielle à pousser l’humanité en avant »36. 37 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364 Instrument, avant tout, de p ... 38 Ibid., p. 366. 39 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 40 Georges Mourélos, Bergson et les niveaux de réalité, Paris, PUF, 1964, p. 175‑176. 9Si Bergson, après le discours, avait écarté au profit d’une réflexion sur la santé mentale cette problématique de l’action morale qu’il retrouvera dans Les deux sources, c’est peut être à cause de l’insuffisance des outils conceptuels dont il disposait en matière d’analyse des rapports entre morale et société en 1895, dans la mesure où il n’avait pas analysé les liens que la société entretient avec le développement d’une morale. En effet, la réflexion sociologique qui sous-tend le discours de 1895 semble assez irréaliste poussée jusqu’au bout, elle implique que, n’était le pouvoir pétrificateur de l’intelligence, l’ensemble de la société, guidé par le bon sens, agirait toujours non seulement de manière parfaitement adaptée à la situation présente mais encore toujours en vue du plus grand bien et du plus grand progrès social, étant constamment animé par l’ esprit de justice »37. Cette conception optimiste qui attribue comme principe à la vie sociale ce même esprit de justice », puisqu’on ne peu[t] [s]e représenter ces volontés associées sans une fin dernière raisonnable »38, a cédé le pas dans les œuvres ultérieures à une analyse de l’origine vitale de la vie sociale orientée vers la survie de l’espèce et qui détermine, par ses normes, l’appréhension du réel il semble donc que ce soit une modification au sein même de la réflexion bergsonienne sur la société, ses normes, et le rapport des individus à ces normes, qui a dû présider au destin de la notion de bon sens dans son œuvre. Si le discours de 1895 distinguait en passant une justice abstraite » d’une justice incarnée dans l’homme juste »39 la première étant discréditée au profit de la seconde, pour pouvoir penser l’acte véritablement moral, cette distinction n’était pas assez précise, ne s’appuyant pas sur l’arrière-plan sociologique élaboré dans Les deux sources qui seul permet, en distinguant la société close de la société ouverte, de distinguer par là même deux véritables types de justices une justice relative et une justice absolue. C’est cette distinction qui permet en effet de résoudre le paradoxe du bon sens comme étant à la fois un sens de l’adaptation au réel social mais aussi une aspiration innée au progrès au sein de chaque individu, puisqu’elle permet de lier la première tendance à la justice relative, celle dont le fondement est œil pour œil, dent pour dent et qui s’exprime dans la dimension close de la société puisque la raison d’être de la morale close est, comme l’ont souligné certains, l’adaptation de l’individu40. La seconde est désormais liée à une justice absolue, qui fonde une morale de l’aspiration, elle-même visant l’avènement d’une société ouverte. 41 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 42 Id., Deux sources, op. cit., p. 1169. 43 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 10En outre, dans Les deux sources, Bergson expose une double conception du rapport de l’individu aux normes sociales en ce qui concerne la société de type clos, les normes sociales agissent sur l’individu dans la mesure où elles poussent son moi profond à se solidifier en s’extériorisant, processus auquel, nous l’avons vu, le bon sens ordinaire n’est pas étranger, mais l’idée d’une société ouverte permet de briser le cercle dans lequel tournoie l’espèce humaine, prise dans la circularité close, en permettant de penser l’influence de l’individu d’exception, ayant presque par miracle échappé à l’obsession de l’utilité vitale, sur la société, par le biais de la création de valeurs morales. À un mouvement passif de réception et d’intégration des normes afin de bien s’insérer dans le réel, analysé dans le Rire et l’Évolution créatrice, peut succéder un mouvement de projection hors de soi qui modifie en retour le réel, mouvement requis par les thèses du discours de 1895. La distinction entre une société close et une société ouverte est ce qui permet à Bergson de comprendre à nouveau le bon sens comme une poussée vers le progrès moral guidée, comme le voulait le discours de 1895, par l’esprit de justice qui lui montre les injustices à corriger et le bien à faire »41. En effet, le bon sens supérieur recherche non pas l’adaptation à des normes préexistantes en vue de favoriser la survie individuelle, mais bien une action en retour sur la société, l’établissement de normes radicalement nouvelles dont le principe est désormais le contraire de celui d’utilité, à savoir la justice absolue fondée sur l’amour. Le bon sens supérieur, loin de recevoir passivement une stimulation à l’action émanant des impératifs vitaux et sociaux de la situation présente, loin de fournir seulement une réponse aux questions posées par son environnement, précède toute sollicitation extérieure et vise à imposer dans la réalité commune la réponse à une sollicitation émanant du fond de l’individu. Il est ainsi un goût de l’action » mis en jeu lorsque le mystique choisit de diffuser son esprit dans la matérialité et est encore, à ce titre, comme le bon sens ordinaire, une capacité de s’adapter et se réadapter »42 à la mouvance du réel. Cependant sa visée n’est plus l’ajustement aux exigences vitales mais bien, comme le voulait le discours, la production de la plus grande somme de bien »43. Ce n’est qu’au prix de la transformation du bon sens en un bon sens supérieur, appuyé sur une justice absolue et non plus relative, et supérieur » puisqu’entre temps le bon sens avait été défini comme santé mentale, que Bergson a pu en 1932 retrouver ce qu’il avait seulement supposé en 1895. 44 Ibid., p. 360 Aussi la tâche de l’éducateur consiste surtout, en pareille matière à conduire le ... 45 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1004 Chacun de nous […] s ... 46 Ibid., p. 1060. 11Si elle permet de valider, par-delà l’analyse du bon sens comme santé mentale, les conclusions du discours de 1895, la distinction entre bon sens ordinaire, conduite sociale normale, et bon sens supérieur, conduite morale modifiant les normes sociales, est aussi l’annonce d’un changement dans la pensée morale bergsonienne. En effet, à présent, seul un nombre restreint de personnalités géniales possède le pouvoir de faire progresser la société que le discours de 1895 attribuait, à travers le bon sens comme santé de l’esprit, à chaque individu, à quelques degrés près de dispositions44. Ainsi, l’humanité ordinaire est réduite, en ce qui concerne la véritable morale, à un rôle passif d’imitation des grands modèles45, imitation qui devient dès lors, pour elle, le fondement de l’action morale et juste pour qui est dépourvu de géniale créativité cette passivité est tout juste corrigée par l’idée que cette imitation peut aussi se faire communication de l’élan et être l’occasion d’une éclosion puisqu’il peut y avoir en nous un mystique qui sommeille et qui attend seulement une occasion de se réveiller »46. Si le bon sens du discours trouve sa formulation finale dans le bon sens supérieur, alors l’espoir en un homme nouveau est interdit, puisque seule une élite morale, celle des mystiques et des êtres dotés du bon sens supérieur, peut constituer une espèce nouvelle, chaque fois réduite à un individu unique. 47 Bergson fonde probablement son interprétation de la morale kantienne sur l’analyse de la rupture d’ ... 48 Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, traduction Jean Tricot, Paris, Vrin, 1997, p. 298. 49 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 987. 50 Id., Le Rire, op. cit., p. 461. 12Le postulat de l’infaillibilité du bon sens à toujours produire l’action la plus juste, repris du discours dans Les deux sources, demande à être interrogé, et la question du fondement de la justice de l’action se pose d’autant plus âprement que, dans Les deux sources, Bergson rejette fermement aussi bien la tentative kantienne de fonder la morale dans la logique ou ce qu’il voit comme tel47 que les théories de type platonicien faisant dériver la justice de l’idée de Bien. En tant qu’instance poussant à accomplir irrémédiablement l’action la plus juste, il pourrait rappeler l’eustochia aristotélicienne, ou la justesse de coup d’œil »48 porté sur la situation, qui se passe de raisonnement, cependant, le fait que Bergson refuse de faire dériver le bon sens de l’habitude ou de l’expérience contredit ce rapprochement. Notons en tout cas que le fondement de l’excellence de l’action de bon sens semble reposer, suivant un schéma tout aristotélicien, sur l’excellence de l’agent qui dispose d’un bon sens supérieur, qu’elle contribue à exprimer en retour. Dans la mesure même où l’aspiration essentiellement morale du mystique ou du héros précède sa tendance à accomplir des actions morales, et que la crise mystique n’est pas l’expression du bon sens supérieur mais ce qui précède son apparition, c’est en définitive de l’excellence morale ou aspiration à la justice absolue que dérive la justice de l’action réalisée par le bon sens supérieur. Or dans la mesure où le bon sens supérieur se caractérise par un certain détachement à l’égard des exigences biologiques égoïstement utilitaires à la fois vitales et sociales dans leur dimension close, détachement lié au fait que, même si nous trouvons [la société] présente en nous », sa présence est plus ou moins marquée selon les individus »49, l’apparition de l’aspiration morale est due, comme le souligne Bergson, à une sorte de hasard vital comparable à celui qui préside, dans le Rire, à l’apparition des artistes50. Si la justesse de son ajustement à la situation présente est encore le signe du lien qu’entretient le bon sens supérieur avec les exigences vitales circulaires de la survie en société close, la justice de ce qu’il vise à produire a partie liée avec le vital au sens de la constante marche de l’élan, procédant par bonds, vers la création d’une société ouverte. C’est en cela que le bon sens supérieur est révélateur au sein de la pensée bergsonienne de ce qu’on pourrait appeler la contradiction du vital », c’est-à-dire la coexistence en son sein de l’élan et de la retombée. 51 Id., Deux sources, p. 1174. 52 Ibid., p. 1061. 53 Ibid., p. 1021. 54 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1245. 55 Le bon sens supérieur est lié à la partie la plus intime de lui-même que l’individu retrouve quand ... 56 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1020. 13Cette contradiction logée au cœur de la distinction entre les deux bons sens se retrouve dans l’expression de contradiction réalisée », employée par Bergson pour désigner la capacité des mystiques à convertir en effort créateur cette chose créée qu’est une espèce, faire un mouvement de ce qui est par définition un arrêt »51. Si l’aspiration morale, qui brise le cercle dans lequel tournent les individus et la société close, est encore une expression du vital, c’est que celui-ci a été redéfini entre l’Évolution créatrice et Les deux sources, passant d’un élan vers la vie sociale à un élan qui contient lui-même un germe moral, puisque selon le dernier ouvrage toute morale […] est d’essence biologique »52 et que le contact avec le principe vital est devenu la seule source où puiser la force d’aimer l’humanité »53. Si l’effort qui préside à ce contact est décrit par Bergson comme effort en sens inverse de la nature, c’est dans la mesure où la natura naturans effectue sa poussée contre l’inertie de la natura naturata ainsi, la morale de l’aspiration qui unit les individus d’un bon sens supérieur est dite rendre l’individu à sa destination naturelle en le rendant créateur, en accord avec l’univers dans sa dimension de machine à faire des dieux »54. Par conséquent, la distinction entre un bon sens supérieur et un bon sens ordinaire, tous les deux naturels en ces deux sens opposés, exprime la spécificité de l’espèce humaine en laquelle coexistent, en tant qu’elle est une espèce sociale, élan tension vers la société ouverte à travers des personnalités géniales et retombée tendance à la clôture. C’est dans un rapport croisé entre le moi » et la réalité extérieure et sociale que s’exprime l’entrecroisement de ces deux naturels ainsi, le bon sens supérieur, qui favorise l’action en direction du progrès de tous, est naturel dans la mesure où il naît d’un contact avec la réalité mouvante qui fait le fond des choses et les couches profondes du moi, ce qu’il y a de plus personnel, tandis que le bon sens ordinaire, qui vise un but essentiellement individuel l’adaptation en vue de la survie, est le produit d’une solidification naturelle du moi par le biais de normes et de processus d’adaptation essentiellement impersonnels exerçant une force d’inertie, ou plutôt entraînant dans un mouvement circulaire. Si la crise mystique qui précède l’apparition du bon sens supérieur n’est pas sans rappeler l’explosion créatrice du moi d’en bas, dans l’Essai, c’est peut-être parce qu’elle constitue la forme finale prise par l’acte libre dans la pensée bergsonienne, dans la mesure où elle est pensée à partir de la prise en compte de la pression fondamentale que la société exerce sur la constitution même de l’individu à laquelle participe le bon sens ordinaire qui n’avait pas encore été analysée au moment de l’Essai55. Exprimant les deux sens de la nature en l’homme, la distinction entre bon sens ordinaire et bon sens supérieur répond finalement à la constatation de ce que la morale comprend […] deux parties distinctes, dont l’une a sa raison d’être dans la structure originelle de la société humaine et dont l’autre trouve son explication dans le principe explicatif de cette structure »56. 57 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 14Cette distinction permet également de résoudre le problème du rapport du bon sens à la pratique artistique c’est le bon sens supérieur, qui résulte d’un contact avec le principe créateur de la vie et produit des actes moraux prenant à leur tour la forme de créations à la fois de normes nouvelles et d’un nouveau moi, qui est dans la vie pratique, ce que le génie est dans les sciences et les arts »57 selon la formule du discours, et c’est le bon sens ordinaire qui, étant lié à la perception utilitaire de la réalité qu’il contribue à morceler avec souplesse, s’oppose à la pratique artistique comme au rêve, selon les analyses du Rire. 58 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, Paris, Félix Alcan, 1926, p. 459. 59 Ibid., p. 464. 60 H. Bergson, Les deux sources, op. cit., p. 1170. 61 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, op. cit., p. 461. 62 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 15La question de savoir si la supériorité morale ne peut surgir que d’un effort dirigé contre le bon sens ordinaire, antérieurement défini comme état normal de l’esprit humain et santé psychologique, et ses préoccupations utilitaires, engage la viabilité de la morale bergsonienne. En effet, si la santé mentale d’un individu est liée à sa disponibilité passive à l’égard de l’environnement social et si le fondement de l’aspiration morale qui génère le bon sens supérieur est la libération à l’égard de l’utilité vitale et des normes sociales, alors apparaît la possibilité d’un conflit sous-jacent dans la pensée bergsonienne entre les définitions de l’individu normal et de l’individu moral. En ce qui concerne la problématique de la santé mentale, le principal interlocuteur, ou adversaire, de Bergson est Pierre Janet qui a pour ambition, dans De l’angoisse à l’extase, de mettre à jour la racine pathologique du délire mystique qu’il apparente à un trouble psychasthénique. À ce titre, il note que les croyances brutales » de sa patiente Madeleine, qu’il compare à Thérèse d’Avila, présentent en maints endroits des contradictions et ne tiennent aucun compte des règles vulgaires du bon sens »58, la principale caractéristique du discours mystique étant pour lui d’être une pensée en régression, analogue à celle des petits enfants et des sauvages »59. Pour lui répondre, Bergson tente d’abord de distinguer l’anormal de l’extraordinaire, puis finit par admettre qu’en tant que passage à l’extraordinaire c’est-à-dire au dynamique et à l’ouvert, la violence même du processus de libération mystique peut générer l’apparition de symptômes anormaux au sens de morbides et déranger les rapports habituels entre conscient et inconscient »60. Il est intéressant de constater que c’est de la présence, chez les mystiques, du bon sens supérieur sous la forme d’un goût de l’action », c’est-à-dire de ce par quoi le bon sens supérieur ressemble au bon sens ordinaire, que Bergson cherche à tirer argument pour justifier la santé mentale des mystiques contre Janet. Mais, comme le note celui-ci contre l’idée que la foisonnante activité des mystiques serait le signe de leur santé mentale l’état proprement psychasthénique n’est pas constant et un malade […] peut être en dehors de ces crises assez actif et persévérant pour accomplir des œuvres intéressantes »61. Mais l’originalité du bon sens supérieur est d’unir, dans le prolongement de la crise même » au sens où l’entend Janet, l’ajustement de l’action au réel et la visée plus haute inspirée par l’amour. C’est pourquoi Bergson va plus loin dans sa réponse et avance que le bon sens supérieur est une santé intellectuelle solidement assise, exceptionnelle, qui se reconnaît sans peine »62. Et, en effet, si l’on considère que l’aspiration morale est une forme de santé dans la mesure où elle est contact avec l’élan vital, nature naturante supérieure à la circularité de la nature naturée, et, dans la mesure où cette santé est réservée à une élite, alors se comprend le fait qu’il existe une santé mentale en un sens non métaphorique se caractérisant par l’exception et non par la moyenne cette santé est normale en un sens normatif sans être normal en un sens statistique. Mais si le bon sens supérieur est une santé intellectuelle », de quel genre d’état mental s’agit-il ? L’intelligence à laquelle Bergson fait référence ici ne peut pas être celle qui soumet le réel à son découpage utilitaire, mais au contraire une intelligence qui parvient à retrouver, entre les lignes de ce morcellement, le réel mouvant. 63 Ibid., p. 986. 64 Ibid., p. 986. 65 Ibid., p. 1243. 16L’équilibre des facultés qui caractérisait le bon sens ordinaire se transforme dans le bon sens supérieur en un équilibre d’un autre genre »63 auquel Bergson fait allusion au début des Deux sources, sans le lier à la problématique du bon sens supérieur qui n’a pas encore été évoquée, ainsi que le suggère allusivement le début des Deux sources, précisant toutefois au sujet de l’effort qui permet de s’enfoncer ainsi en soi à la découverte de son moi s’il est possible, il est exceptionnel »64. Il est possible d’avancer que cet équilibre d’un nouveau genre peut être lié à une forme de perception réelle quoiqu’anormale, justement parce qu’elle n’est pas contrainte par les exigences de l’action il doit y avoir, soit dans le corps, soit dans la conscience qu’il limite, des dispositifs spéciaux dont la fonction est d’écarter de la perception humaine les objets soustraits par leur nature à l’action de l’homme. Que ces mécanismes se dérangent, la porte qu’ils maintenaient fermée s’entrouvre quelque chose passe d’un en dehors », qui est peut être un au-delà ». C’est de ces perceptions anormales que s’occupe la science psychique »65. Ce qui serait ordinairement jugé pathologique, à savoir ces perceptions anormales », reçoit finalement une justification morale, puisque ces perceptions émanent de la santé supérieure que constitue l’équilibre supérieur de l’esprit mystique soustrait aux exigences d’utilité. Cela signifie non seulement que le normal psychologique qui n’est que l’état moyen de l’esprit des individus rivés à leur intérêt n’a pas à recevoir un statut normatif, mais surtout que le moral est une norme qui enjoint de dépasser purement et simplement l’équilibre normal de l’esprit, le réel se trouvant modifié à son tour parce qu’étendu à ce que les exigences vitales rejetaient. 66 D. Lapoujade, Sur un concept méconnu de Bergson l’attachement à la vie », in Frédéric Worms di ... 17L’anormal est peut-être même alors plus réel que le réel morcelé par les exigences vitales, auquel l’état normal de l’esprit donne accès, car tout se passe comme si l’équilibre humain, comme si la normalité engendrée par cet équilibre cessait d’être viable ; à un niveau plus profond, il est perçu et vécu comme un déséquilibre en tant que son modus vivendi ne cesse de réprimer les forces créatrices au sein de l’individu »66. Ériger l’anormal en norme morale permet donc à Bergson de modifier en retour la définition du normal par la mise en question de la validité de la perception normale c’est-à-dire habituelle elle-même, qui était au fondement à la fois de la définition de l’adaptation au réel, mais aussi du réel lui-même. Ce renversement illustre finalement pleinement la contradiction qu’on trouve au sein de l’œuvre bergsonienne entre le vital compris comme ensemble d’exigences d’utilité pour la survie individuelle et d’autre part comme élan créateur le second l’emporte finalement sur le premier puisque l’aspiration morale contribue à défaire le découpage utilitaire du réel et donne ainsi accès à l’élan vital lui-même. Haut de page Notes 1 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, Mélanges, Paris, PUF, 1972, p. 370. 2 Ibid., p. 364. 3 Ibid., p. 360. 4 H. Bergson, L’énergie spirituelle, op. cit., p. 893 Cela, c’est veiller, c’est vivre la vie psychologique normale, c’est lutter, c’est vouloir ». 5 Id., Matière et mémoire, Œuvres complètes, op. cit., p. 294 Entre ces deux extrêmes [l’impulsif et le rêveur] se place l’heureuse disposition d’une mémoire assez docile pour suivre avec précision les contours de la situation présente, mais assez énergique pour résister à tout autre appel. Le bon sens, ou sens pratique, n’est vraisemblablement pas autre chose ». 6 Il est, dans Le Rire, continuité mouvante de notre attention à la vie », Œuvres, op. cit., p. 475. 7 Ibid., p. 475. 8 Matière et Mémoire, op. cit., p. 296‑302. 9 Mélanges, op. cit., p. 620. 10 Le Rire, op. cit., p. 476. 11 V. Jankélévitch, Henri Bergson, Paris, PUF, 2008, p. 127‑128. 12 H. Bergson, Mélanges, op. cit., p. 620 Tous ne sont pas capables de cette vie de travail, tous n’ont pas également le sens du réel, le bon sens ». Pierre Janet remarque chez les psychasthéniques un caractère fondamental, difficile à expliquer, […] le caractère de la paresse » La force et la faiblesse psychologiques, Paris, éditions médicales Norbert Maloine, 1932, p. 275. 13 Dans Matière et Mémoire, Bergson semble encore n’attribuer à l’aliénation que des causes biologiques, à savoir la perturbation des relations sensori-motrices établies dans l’organisme » p. 313. 14 Le Rire, op cit., p. 450. 15 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1065. 16 Guy Lafrance, La philosophie sociale de Bergson, sources et interprétation, Ottawa, éditions de l’université d’Ottawa, 1974, p. 115 et suiv. 17 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1065. 18 Ibid., p. 1065. 19 Ibid., p. 1065. 20 Le Rire, op. cit., p. 457‑458. 21 Ibid., p. 451. 22 Ibid., p. 457. 23 Bergson fait référence de manière explicite à la conception cartésienne du bon sens dans le discours de 1895, il est même possible d’envisager que c’est en hommage au bon sens analysé par Descartes dans le Discours de la méthode que Bergson a conservé le terme bon sens » pour désigner l’équilibre psychique qu’il décrit. Les références à la problématique cartésienne du bon sens abondent dans le discours de 1895 le concept d’attention peut suggérer un arrière plan cartésien, et Bergson y évoque l’urgence de l’action en des termes qui rappellent ceux de Descartes pour qui les actions de la vie ne souffrent aucun délai ». Dans le discours de 1895, Bergson désigne le bon sens comme une ignorance consciente d’elle-même », termes qu’il répétera à l’identique dans son hommage à Descartes en 1937, lorsqu’il fait de celui-ci l’auteur de l’idée selon laquelle la vraie connaissance a moins de rapport avec une information superficiellement encyclopédique qu’avec une ignorance consciente d’elle-même ». Dans Le bon sens et les études classiques, Bergson ne nie pas directement que le bon sens soit la chose du monde la mieux partagée », mais il affirme que, si le bon sens est une faculté inné[e] et universel[le] », celle-ci est empêchée par certains obstacles, notamment les préjugés et la distraction avec laquelle l’individu les reçoit l’universalité en droit du bon sens s’accorde bien avec l’idée que le bon sens représente une sorte de santé mentale. Mais, à la différence du bon sens cartésien, le bon sens bergsonien ne nécessite pas l’adoption d’une méthode l’adaptation à la réalité qui résulte du bon sens est spontanée, l’action qui en est issue tranche, brise le cercle, puisqu’elle est puissance d’invention de solutions. En outre, il n’est pas à proprement parler une faculté, que l’on pourrait rabattre soit sur l’intelligence, soit sur l’intuition, mais bien plutôt un état d’équilibre entre facultés, tempérant l’action de chacune en vue d’une bonne adaptation. 24 H. Bergson, Le Rire, op. cit., p. 452‑453. 25 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 26 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1174. 27 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 366. 28 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1056. 29 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 362. 30 Ce que Guy Lafrance appelle une justice intuitive », cf. La philosophie sociale de Bergson, sources et interprétation, op. cit., p. 115 et suiv. 31 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 32 Ibid., p. 362. 33 Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 34 Ibid. p. 1172. 35 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 36 Les deux sources de la morale et de la religion, p. 1017. 37 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364 Instrument, avant tout, de progrès social, il ne peut tirer sa force que du principe même de la vie sociale, l’esprit de justice ». 38 Ibid., p. 366. 39 Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 364. 40 Georges Mourélos, Bergson et les niveaux de réalité, Paris, PUF, 1964, p. 175‑176. 41 H. Bergson, Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 365. 42 Id., Deux sources, op. cit., p. 1169. 43 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 44 Ibid., p. 360 Aussi la tâche de l’éducateur consiste surtout, en pareille matière à conduire les uns par un artifice, là où d’autres sont tout de suite placés par nature ». 45 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1004 Chacun de nous […] s’est demandé ce que tel ou tel eût attendu de lui en pareille occasion ». 46 Ibid., p. 1060. 47 Bergson fonde probablement son interprétation de la morale kantienne sur l’analyse de la rupture d’une promesse ou celle du suicide dans Les fondements de la métaphysique des mœurs et dans le chapitre premier de l’Analytique de la Critique de la raison pratique. Il critique Kant en affirmant que jamais […] on ne sacrifierait au seul besoin de cohérence logique son intérêt, sa passion. » Les deux sources, op. cit., p. 994. 48 Cf. Aristote, Ethique à Nicomaque, traduction Jean Tricot, Paris, Vrin, 1997, p. 298. 49 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 987. 50 Id., Le Rire, op. cit., p. 461. 51 Id., Deux sources, p. 1174. 52 Ibid., p. 1061. 53 Ibid., p. 1021. 54 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1245. 55 Le bon sens supérieur est lié à la partie la plus intime de lui-même que l’individu retrouve quand sa conscience, travaillant en profondeur, lui révèle, à mesure qu’il descend davantage, une personnalité de plus en plus originale, incommensurable avec les autres et d’ailleurs inexprimable » Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 986. 56 H. Bergson, Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1020. 57 Id., Le bon sens et les études classiques, op. cit., p. 361. 58 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, Paris, Félix Alcan, 1926, p. 459. 59 Ibid., p. 464. 60 H. Bergson, Les deux sources, op. cit., p. 1170. 61 P. Janet, De l’angoisse à l’extase, op. cit., p. 461. 62 H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 1169. 63 Ibid., p. 986. 64 Ibid., p. 986. 65 Ibid., p. 1243. 66 D. Lapoujade, Sur un concept méconnu de Bergson l’attachement à la vie », in Frédéric Worms dir., Annales bergsoniennes, tome 4, Paris, PUF, 2009, p. 689. Haut de page Pour citer cet article Référence papier Clarisse ZOULIM, La notion de bon sens dans la philosophie d’Henri Bergson », Philonsorbonne, 6 2012, 83-96. Référence électronique Clarisse ZOULIM, La notion de bon sens dans la philosophie d’Henri Bergson », Philonsorbonne [En ligne], 6 2012, mis en ligne le 04 février 2013, consulté le 23 août 2022. URL ; DOI de page
Cest alors que naquirent de nombreuses thèses concernant, entre autres, le sens du langage, son origine, son rapport au réel mais aussi à la pensée. Bergson fait partie de ses nombreux philosophes et nous expose dans son œuvre La Pensée et le Mouvant, que le langage serait d'abord et essentiellement un moyen de communication.
Corrigés du BAC 2013 Philosophie Ces corrigés sont proposés gratuitement ils sont rédigés par des professeurs de l'Education Nationale Corrigé dissertation BAC S Peut-on agir moralement sans s’intéresser à la politique? Corrigé dissertation BAC S Le travail permet-il de prendre conscience de soi ? Explication de texte extrait de La pensée et le mouvant, de Bergson. Qu’est-ce qu’un jugement vrai ? Nous appelons vraie l’affirmation qui concorde avec la réalité. Mais en quoi peut consister cette concordance ? Nous aimons à y voir quelque chose comme la ressemblance du portrait au modèle l’affirmation vraie serait celle qui copierait la réalité. Réfléchissons-y cependant nous verrons que c’est seulement dans des cas rares, exceptionnels, que cette définition du vrai trouve son application. Ce qui est réel, c’est tel ou tel fait déterminé s’accomplissant en tel ou tel point de l’espace et du temps, c’est du singulier, c’est du changeant. Au contraire, la plupart de nos affirmations sont générales et impliquent une certaine stabilité de leur objet. Prenons une vérité aussi voisine que possible de l’expérience, celle-ci par exemple la chaleur dilate les corps ». De quoi pourrait-elle bien être la copie ? Il est possible, en un certain sens, de copier la dilatation d’un corps déterminé à des moments déterminés, en la photographiant dans ses diverses phases. Même, par métaphore, je puis encore dire que l’affirmation cette barre de fer se dilate » est la copie de ce qui se passe quand j’assiste à la dilatation de la barre de fer. Mais une vérité qui s’applique à tous les corps, sans concerner spécialement aucun de ceux que j’ai vus, ne copie rien, ne reproduit rien. Vous cherchez un professeur de philosophie ? 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Bien que chacun de nous soit une personne séparée des autres, et dont, par conséquent, les intérêts sont en quelque façon distincts de ceux du reste du monde, on doit toutefois penser qu’on ne saurait subsister seul, et qu’on est, en effet, l’une des parties de l’univers, et plus particulièrement encore l’une des parties de cette terre, l’une des parties de cet Etat, de cette société, de cette famille, à laquelle on est joint par sa demeure, par son serment, par sa naissance. Et il faut toujours préférer les intérêts du tout, dont on est partie, à ceux de sa personne en particulier ; toutefois avec mesure et discrétion1, car on aurait tort de s’exposer à un grand mal, pour procurer seulement un petit bien à ses parents ou à son pays ; et si un homme vaut plus, lui seul, que tout le reste de sa ville, il n’aurait pas raison de se vouloir perdre pour la sauver. Mais si on rapportait tout à soi-même, on ne craindrait pas de nuire beaucoup aux autres hommes, lorsqu’on croirait en retirer quelque petite commodité, et on n’aurait aucune vraie amitié, ni aucune fidélité, ni généralement aucune vertu ; au lieu qu’en se considérant comme une partie du public, on prend plaisir à faire du bien à tout le monde, et même on ne craint pas d’exposer sa vie pour le service d’autrui, lorsque l’occasion s’en présente. Sujets du BAC série ES BAC 2013 Corrigé dissertation BAC ES Que devons-nous à l’Etat ? Corrigé dissertation BAC ES Interprète-t-on à défaut de connaître ? Explication de texte extrait de De la concorde, de Saint-Anselme. "Prenons maintenant un exemple où apparaissent une volonté droite, c’est-à-dire juste, la liberté du choix et le choix lui-même ; et aussi la façon dont la volonté droite, tentée d’abandonner la rectitude, la conserve par un libre choix. Quelqu’un veut du fond du coeur servir la vérité parce qu’il comprend qu’il est droit d’aimer la vérité. Cette personne a, certes, la volonté droite et la rectitude de la volonté ; mais la volonté est une chose, la rectitude qui la rend droite en est une autre. Arrive une autre personne la menaçant de mort si elle ne ment. Voyons maintenant le choix qui se présente de sacrifier la vie pour la rectitude de la volonté ou la rectitude pour la vie. Ce choix, qu’on peut aussi appeler jugement, est libre, puisque la raison qui perçoit la rectitude enseigne que cette rectitude doit être observée par amour de la rectitude elle-même, que tout ce qui est allégué pour son abandon doit être méprisé et que c’est à la volonté de repousser et de choisir selon les données de l’intelligence rationnelle ; c’est dans ce but principalement, en effet, qu’ont été données à la créature raisonnable la volonté et la raison. C’est pourquoi ce choix de la volonté pour abandonner cette rectitude n’est soumis à aucune nécessité bien qu’il soit combattu par la difficulté née de la pensée de la mort. Quoiqu’il soit nécessaire, en effet, d’abandonner soit la vie, soit la rectitude, aucune nécessité ne détermine cependant ce qui est conservé ou abandonné. La seule volonté détermine ici ce qui est gardé et la force de la nécessité ne fait rien là où le seul choix de la volonté opère."
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1. Dans ce texte, Bergson entend démontrer que nous sommes des êtres libres » il suffit pour s'en convaincre d'écouter ce dont notre conscience témoigne », et ce dont elle nous avertit ». Mais alors, quel est ce témoignage que nous apporte la conscience ? Tous nous faisons quotidiennement l'expérience de l'action, c'est-à-dire aussi toujours l'expérience du choix toute action quelle qu'elle soit », est la réalisation d'une possibilité, possibilité qui n'était en tant que telle jamais la seule, mais un possible parmi d'autres. J'ai bu du café ce matin j'aurais tout aussi bien pu prendre du thé ; j'ai tourné à droite, mais j'aurais pu continuer tout droit ou aller à gauche ; et si je ne l'ai pas fait, c'est parce que j'ai choisi de ne le pas faire, au profit d'autre chose. Quand nous agissons donc, nous décidons quelle possibilité nous allons faire être ; autant dire qu'avant d'agir, nous examinons les divers motifs » en présence, que nous les comparons ; et c'est en fonction d'une telle comparaison que nous nous décidons. Si j'ai tourné à gauche ce matin, c'est parce que j'avais davantage de raisons de le faire que de motifs de prendre à droite ; il n'en demeure pas moins que cette possibilité autre, qui maintenant n'est plus possible, l'était au moment du choix ; bref, si nous l'avions voulu, nous aurions pu autrement faire ». De là découle une seconde preuve, qui vient compléter la première si nous étions le jouet de la fatalité, si nous agissions sans jamais choisir nos actes, il s'ensuivrait que nous serions en toute chose innocents de tout reproche, puisque quelles qu'en soient les conséquences, nous ne porterions pas la responsabilité de nos actions n'ayant pas choisi de faire ceci plutôt que cela, je ne saurais être tenu pour responsable de cet acte même. La responsabilité suppose la liberté de choix ; et c'est parce que je me sais responsable de mes actes que je suis accessible au regret », et au remords ». Il serait absurde de regretter que la somme des angles d'un triangle ne fasse pas autre chose que cent quatre-vingt degrés ce qui est, et est nécessairement, cela ne peut être la source du moindre regret. En d'autres termes, on ne saurait regretter ce qui ne pouvait pas être autrement qu'il n'a été » le sentiment d'avoir mal agi par ignorance ou par imprévoyance, la conviction d'avoir eu tort et de s'être trompé, impliquent la possibilité du choix, c'est-à-dire impliquent que nos actes soient eux-mêmes contingents ils auraient pu ne pas être et non nécessaires – au sens logique de la nécessité est nécessaire, précisément, ce qui ne peut pas ne pas être. Par conséquent, l'expérience du remords ou du regret suppose la contingence de nos actions, c'est-à-dire qu'elle suppose la réalité du choix. C'est parce que je l'ai choisie que cette action a eu lieu si je m'étais décidé pour une autre possibilité, cet acte qu'à présent je me reproche n'aurait jamais existé, il serait demeuré un pur possible sans réalité aucune. Car enfin, si toutes les actions que nous avons accomplies ne pouvaient pas ne pas s'accomplir », qu'aurions-nous à nous reprocher ? En ce cas, nous n'éprouverions nulle douleur à l'égard d'un passé que nous savons coupable. La conséquence est aisée à tirer quand il s'agit de déterminer si nous sommes libres ou non, il est un fait » comme tel indiscutable », c'est que notre conscience morale témoigne » de notre liberté. Eu égard au problème de la liberté, le témoignage de notre conscience est donc double d'une part, avant d'agir, nous examinons les différentes possibilités qui se présentent à nous, nous soupesons les motifs d'en choisir une plutôt qu'une autre, puis nous décidons en conscience d'élire un possible et de le réaliser dans nos actes tourner à droite, c'est avoir eu la possibilité de tourner à gauche et l'avoir délaissée, c'est-à-dire avoir refusé de la faire être. Ce que j'ai fait, j'ai donc choisi librement de le faire, précisément parce que j'aurais pu, si je l'avais voulu, faire tout autre chose ; en d'autres termes, notre conscience témoigne que notre volonté est bien au principe de nos actions, c'est-à-dire que c'est nous qui décidons de nos actes volontaires. Il existe bien des actes que nous ne choisissons pas de faire cependant les réflexes d'abord, et ensuite tout ce que nous faisons sans y penser par habitude. Mais justement ces actes sont qualitativement distincts de ceux où je me suis posé la question de savoir ce que je devais faire avant même de le faire ; et si je délibère en moi-même avant d'agir, si je choisis mon acte parmi d'autres actes possibles, c'est donc que j'agis librement. D'autre part, après l'action elle-même, notre conscience nous apporte à nouveau le témoignage de notre liberté lorsque par ignorance des conséquences ou méconnaissance des circonstances précises, j'ai agi d'une façon telle que j'aurais fait un autre choix, si j'avais su au moment de me décider ce qui allait s'ensuivre, alors je le regrette. Je regrette la possibilité que j'ai choisie, je regrette mon acte lui-même ; mais le remords serait privé de toute signification et de tout sens, si j'avais agi sous le coup de la contrainte, ou de la nécessité. Ainsi, si je saisis un objet trop chaud, et que je me brûle, je peux fort bien regretter d'avoir posé ma main dessus si j'avais su qu'il était brûlant, j'aurais attendu un peu ; mais il n'y a aucun sens à regretter qu'un objet très chaud soit brûlant, parce que c'est là chose nécessaire. On ne regrette jamais que les actes dont on aurait pu s'empêcher ; autant dire que l'expérience du remords elle-même témoigne, là encore, de notre liberté. b Car enfin, que se passe-t-il en nous, quand nous expérimentons la morsure de la mauvaise conscience ? Faire l'expérience du remords, c'est faire l'expérience d'un passé qui ne passe pas, et qui n'est même que trop présent je voudrais ne pas avoir fait ce que j'ai fait, et il n'est pas en mon pouvoir de changer ce passé qui à présent n'est plus et que je n'arrive pourtant pas à oublier. Si j'avais su, je m'y serais pris autrement, mais maintenant il est trop tard ce n'est qu'à présent que je vois les conséquences d'un acte qui a déjà eu lieu, et je ne saurais revenir en arrière pour l'effacer. Pour douloureuse qu'elle soit, cette expérience témoigne cependant de notre liberté j'ai fait un choix qu'à présent je sais malheureux, et je me reproche ma propre stupidité – cela présuppose que j'aurais pu agir autrement, qu'il ne tenait qu'à moi d'étudier plus à fond les conséquences possibles de mon acte on ne saurait déplorer que ce qui aurait pu ne pas être, c'est-à-dire le contingent ; et si nos actes sont contingents, si nos actions auraient pu être autrement qu'elles n'ont été, cela prouve assez que nous avons choisi de les faire être notre responsabilité témoigne que nous sommes libres, et réciproquement, notre liberté nous avertit que nous sommes responsables de nos actes. c De fait alors, le remords et le regret demeureraient inexplicables si nous n'étions pas libres. Car enfin on l'a dit, ces expériences sont douloureuses, et nous faisons généralement tout pour les éviter, par exemple en nous inventant toutes les excuses possibles, ou en tentant de nous faire croire sans jamais y parvenir que nous n'étions pas libre d'agir comme nous l'avons fait, qu'en fait nous n'avions pas le choix. Si malgré tout nous sommes pris de remords en faisant notre examen de conscience, c'est que nous savons pertinemment que nous sommes ce que nous avons choisi d'être, que nous ne pouvons nous en vouloir que dans l'exacte mesure où il ne dépendait que de nous d'agir autrement. Si nous n'étions pas libres, si nous ne décidions de rien, comme l'animal qui en toutes choses suit ce que son instinct commande, alors nous n'éprouverions pas la morsure de la mauvaise conscience – comme le disait déjà Hegel, les animaux vivent en paix avec eux-mêmes » n'étant pas libres, ils ne sont pas responsables de leurs actes, et ne sauraient se les reprocher. 3. Ce que nous a démontré ce texte, c'est qu'il y avait un rapport indubitable entre l'expérience du choix, celle du remords, et l'affirmation de notre liberté d'une double façon, notre conscience vient témoigner que nous sommes libres. Mais quel crédit faut-il apporter à ce témoignage ? Suffit-il d'avoir, de l'intérieur de nous, le sentiment de la liberté, pour ne pas être déterminés à agir comme nous agissons ? Car enfin, il se pourrait après tout que ce témoignage soit trompeur, précisément de même qu'il ne suffit pas que je pense une proposition vraie pour qu'elle le soit effectivement, de même, le témoignage de notre conscience, qui est bien un fait, pourrait en fait nous induire en erreur. La question se pose alors dans quelle mesure faut-il accorder crédit au sentiment de notre liberté ? Des deux arguments défendus par Bergson, c'est le premier qui semble le plus contestable. Qu'on songe seulement ici à Spinoza, selon lequel notre impression de liberté provient seulement d'une méconnaissance des causes qui nous déterminent. Si une pierre tournant en orbite avait conscience de son existence, elle se figurerait sans doute que c'est par ses propres forces qu'elle se meut, et qu'elle ne tourne que parce qu'elle a décidé de tourner. L'argument est repris et développé par Schopenhauer, et l'idée est la suivante il n'y a en fait jamais de choix avant l'action. Je tourne à droite ; c'est après coup, une fois ce mouvement effectué, que je me figure que je suis libre, parce que j'aurais pu tourner à gauche. J'aurais pu, mais précisément je ne l'ai pas fait, parce que les motifs opposés avaient sur ma volonté beaucoup trop d'emprise. Le sentiment de la liberté est donc une illusion rétrospective, qui provient de la méconnaissance des motifs qui nous déterminent. Si nous avions conscience de toutes les causes qui agissent sur notre volonté, alors nous saurions que nous ne sommes pas plus libres de tourner à gauche, que la pierre n'est libre de tomber quand on la lâche comme l'affirme Spinoza, l'homme n'est pas un empire dans un empire », c'est-à-dire une enclave de contingence dans une nature où ne règne partout que la nécessité. Quant au second argument, on pourrait après tout lui opposer que le remords est peut-être un sentiment absurde, que la mauvaise conscience est une épreuve reposant sur l'illusion que nous avons d'être libres, et que la connaissance de la nécessité qui nous détermine par avance à agir comme nous agissons nous délivrerait enfin des cruelles morsures du regret. Mais cette thèse elle-même se retourne l'affirmation selon laquelle tout est par avance déterminé était nommée par Leibniz l'argument paresseux », précisément parce qu'il nous permet de paresser, c'est-à-dire de s'excuser par avance de toute responsabilité. Et si nous doutions de notre liberté, justement parce que nous ne voulons pas en porter le poids ? Sans doute faut-il ici suivre Kant, qui fait de la liberté un postulat de la moralité, c'est-à-dire de la raison pratique nous ne saurons jamais si nous sommes libres, puisque connaître, c'est connaître les causes, et que la liberté, c'est justement de ne pas être causé à agir comme j'agis. Mais si le problème est indécidable du point de vue de la connaissance, il demeure certain que sans liberté, il n'y a pas de responsabilité possible, et partant que l'exigence morale est elle-même vidée de tout contenu si je ne suis pas libre, alors je ne suis responsable de rien, et le commandement moral qui m'ordonne de faire le bien demeure sans effet, puisqu'il n'est pas en mon pouvoir de faire autre chose que ce que je fais. Du point de vue pratique ou moral donc, la liberté est un postulat ou une exigence nous ne pouvons pas nous contenter du témoignage de notre conscience, la liberté demeure indécidable ; mais du coup, il nous faut agir comme si nous étions libres, et faire ce que la loi morale ordonne, c'est-à-dire agir de telle façon que la maxime de notre action puisse être érigée en loi universelle de la nature. Comme le disait Marc-Aurèle, quand bien même tout serait soumis à la nécessité, Qu'attends-tu pour être libre ? » La liberté ne se prouve pas plus qu'elle ne s'éprouve, elle est une exigence agis comme si tu étais libre, et tu le seras.
Nousabordons le langage aujourdâ hui, par le problème philosophique du rapport entre la pensée et le langage: entre lâ intériorité de la pensée et lâ extériorit
A partir de son étude ordonnée, vous dégagerez l'intérêt philosophique du texte suivant Mais la vérité est qu'il s'agit, en philosophie et même ailleurs, de trouver le problème et par conséquent de le poser, plus encore que de le résoudre. Car un problème spéculatif est résolu dès qu'il est bien posé. Jfentends par là que la solution en existe alors aussitôt, bien qu'elle puisse rester cachée et, pour ainsi dire, couverte il ne reste plus qu'à la découvrir. Mais poser le problème ce n'est pas seulement découvrir, c'est inventer. La découverte porte sur ce qui existe déjà, actuellement ou virtuellement ; elle était donc sûre de venir tôt ou tard. L'invention donne Fêtre à ce qui n'était pas, elle aurait pu ne venir jamais. Déjà en mathématiques, à plus forte raison en métaphysique, l'effort d'invention consiste le plus souvent à susciter le problème, à créer les termes en lesquels il se posera. Position et solution du problème sont bien près ici de s'équivaloir les vrais grands problèmes ne sont posés que lorsqu'ils sont résolus. BERGSON. Ce texte est extrait de La Pensée et le Mouvant pages 51-52. Dans la mesure où ce livre est composé d'essais et de conférences, les élèves qui désirent lire un texte de Bergson peuvent fort bien commencer par lire celui-ci. Le libellé du sujet indique le plan à suivre — Procéder à l'étude ordonnée du texte. — En dégager l'intérêt philosophique. Une lecture attentive du texte doit donc en un premier temps faire apparaître les difficultés et les expliquer. On peut par exemple s'interroger sur l'expression problème spéculatif . Puis se demander ensuite ce que signifie qu'un problème spéculatif soit résolu dès qu'il est bien posé . Bergson fait en outre allusion dans ce texte aux problèmes mathématiques, or peut-on les comparer aux problèmes philosophiques ? La réponse à ces questions fait ressortir le sens global de ce texte l'ordre de la pensée recouvrirait l'ordre du réel. CONSEILS PRELIMINAIRES Ce texte est extrait de La Pens& at le Mouvant pages 51-52. Dana la mesure ce livre est compose d'essais et de confe- rences, les eleves qui desirent lire un texte de Bergson peuvent fort Men commencer par lire celui-ci. Le libelle du sujet indique le plan a suivre - Proceder a retude ordonnee du texte. -En degager rinteret philosophique. Une lecture attentive du texte doit done en un premier temps faire apparaitre les difficultes et les expliquer. On pent par exem- ple s'interroger sur l'expression a probleme speculatif ». Puis se demander ensuite ce clue signifie qu'un probleme speculatif soit a resolu des gull est Bien pose ». Bergson fait en outre allusion dans ce texte aux problemes mathematiques, or peut-on les com- parer aux problemes philosophiques ? La reponse a ces questions fait ressortir le seas global de ce texte l'ordre de la pensee recou- vrirait rordre du reel. La discussion doit done, a partir de la, s'attacher a souligner ce qu'a d'insolite, voire de paradoxal, cette conclusion rapportee a la philosophie meme de Bergson. Pourquoi y a-t-il paradoxe ? Comment en rendre raison ? Ces deux questions constituent l'arma- ture de la discussion. Celle-ci peut en conclusion montrer en gaol Bergson dans ce texte manque le caractere propre du probleme philosophique en ne voyant pas clue celui-ci ne prend tout son sens clue rapporte a une problematique d'ensemble. Lorsque Bergson fit perdue en 1934 divers essais et conferences rasserubles sous le titre La Pensie et le Mou- vant, it ecrivit comme introduction a ce recueil deux brefs essais dont I'un est a De la position des problemes D. C'est precisement a ce dernier essai qu'appartient le passage a commenter. Dans ce passage, une expression retient tout d'abord notre attention, l'expression a pro- bleme speculatif D. 11 peut sembler en effet &range clue Bergson puisse ainsi traiter des problemes speculatifs des lore clue l'on Bait combien sa pensee, depuis les Donn6es immediates de la Conscience jusqu'aux Deux Sources de la Morale et de la Religion, s est attach& a decouvrir un ordre du reel situe au-dela de l'ecran clue constituent a see yeux lee concepts s inclus dans lee mots D. Nous tache- rons done en un premier temps d'eclaircir ce point. Ensuite, CONSEILS PRÉLIMINAIRES Ce texte est extrait de La Pensée et le Mouvant pages 51-52. Dans la mesure où ce livre est composé d'essais et de confé rences, les élèves qui désirent lire un texte de Bergson peuvent fort bien commencer par lire celui-ci. Le libellé du sujet indique le plan à suivre — Procéder à l'étude ordonnée du texte. — En dégager l'intérêt philosophique. Une lecture attentive du texte doit donc en un premier temps faire apparaître les difficultés et les expliquer. On peut par exem ple s'interroger sur l'expression problème spéculatif ». Puis se demander ensuite ce que signifie qu'un problème spéculatif soit résolu dès qu'il est bien posé ». Bergson fait en outre allusion dans ce texte aux problèmes mathématiques, or peut-on les com parer aux problèmes philosophiques ? La réponse à ces questions fait ressortir le sens global de ce texte l'ordre de la pensée recou vrirait l'ordre du réel. La discussion doit donc, à partir de là, s'attacher à souligner ce qu'a d'insolite, voire de paradoxal, cette conclusion rapportée à la philosophie même de Bergson. Pourquoi y a-t-ii paradoxe ? Comment en rendre raison ? Ces deux questions constituent l'arma ture de la discussion. Celle-ci peut en conclusion montrer en quoi Bergson dans ce texte manque le caractère propre du problème philosophique en ne voyant pas que celui-ci ne prend tout son sens que rapporté à une problématique d'ensemble. Lorsque Bergson fit paraître en 1934 divers essais et conférences rassemblés sous le titre La Pensée et le Mow vaut, il écrivit comme introduction à ce recueil deux brefs essais dont l'un est intitulé De la position des problèmes ». C'est précisément à ce dernier essai qu'appartient le passage à commenter. Dans ce passage, une expression retient tout d'abord notre attention, l'expression pro blème spéculatif ». Il peut sembler en effet étrange que Bergson puisse ainsi traiter des problèmes spéculatifs dès lors que l'on sait combien sa pensée, depuis les Données immédiates de la Conscience jusqu'aux Deux Sources de la Morale et de la Religion, s'est attachée à découvrir un ordre du réel situé au-delà de l'écran que constituent à ses yeux les concepts inclus dans les mots ». Nous tâche rons donc en un premier temps d'éclaircir ce point. Ensuite,. »
PrŽfacede Bernard de Fallois (Paris : Gallimard, [1954]). Nous renvoyons au texte de La Recherche par la simple mention du volume et de la page (par exemple : I, 121). Pour Contre Sainte-Beuve, nous usons du sigle CSB. 2 Jean Pouillon, Ç Les R•gles du Je È, Les Temps Modernes, XII (19561957), 1594. Ñ 10 Ñ deux moments de la
Sujet Expliquez le texte suivant Chacun de nous a sa manière d’aimer et de haïr, et cet amour, cette haine, reflètent sa personnalité tout entière. Cependant le langage désigne ces états par les mêmes mots chez tous les hommes ; aussi n’a-t-il pu fixer que l’aspect objectif et impersonnel de l’amour, de la haine, et des mille sentiments qui agitent l’âme. Nous jugeons du talent d’un romancier à la puissance avec laquelle il tire du domaine public, où le langage les avait ainsi fait descendre, des sentiments et des idées auxquels il essaie de rendre, par une multiplicité de détails qui se juxtaposent, leur primitive et vivante individualité. Mais de même qu’on pourra intercaler indéfiniment des points entre deux positions d’un mobile sans jamais combler l’espace parcouru, ainsi, par cela seul que nous parlons, par cela seul que nous associons des idées les unes aux autres et que ces idées se juxtaposent au lieu de se pénétrer, nous échouons à traduire entièrement ce que notre âme ressent la pensée demeure incommensurable avec le langage. Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1889. La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question. Corrigé Il arrive que nous ne trouvions pas les mots pour le dire ou qu’ils nous paraissent très en deçà de ce que nous ressentons. Dès lors, la question se pose de savoir s’il s’agit d’une impuissance du langage. Tel est le problème que Bergson résout dans cet extrait de son Essai sur les données immédiates de la conscience. L’auteur veut montrer que le langage est insuffisant pour exprimer ce que nous pensons individuellement. Toutefois, cette impuissance supposée ne laisse pas d’impliquer certaines difficultés. Notre pensée perd-elle quoi que ce soit à être la même que celle des autres ? Comment dire sans se contredire qu’il y a de l’inexprimable ? L’originalité n’est-elle pas une conquête plutôt qu’une donnée immédiate ? L’auteur commence par opposer la singularité de la pensée avec le caractère général des mots qui l’expriment. Pour ce faire, il prend deux exemples, à savoir l’amour et la haine. Il postule dans cet extrait de l’Essai sur les données immédiates de la conscience que la façon d’aimer ou de haïr de chacun lui est propre dans la mesure où elle émane de sa personnalité. C’est donc qu’il admet que la personnalité de chacun diffère de celle des autres. Et comment ne pas l’admettre puisque si ma personnalité est la même que celle d’un autre nous serions une seule et même personne ou bien nous serions incapables de nous distinguer. Ainsi Socrate fait remarquer à Cratyle, le personnage éponyme du dialogue de Platon, que si on fait une copie en tout point identique de Cratyle on ne pourra distinguer l’original de la copie. Pourtant, le propos de Bergson n’est pas si évident si on n’y regarde de plus près. En effet, quoique deux triangles soient différents, ils sont identiques quant à leur essence. De même, rien n’interdit de penser que mon amour ou ma haine n’est pas celle des autres quant à l’existence mais qu’ils sont identiques quant à l’essence. Dès lors, que les mêmes mots les expriment ne prouvent nullement qu’ils sont trahis mais bien plutôt que le mot vise l’essence ou la nature de la chose comme Socrate le montre à Hermogène dans le Cratylede Platon. À quoi servirait de s’exprimer sinon pour communiquer à l’autre au sens non seulement de transmettre mais également, au sens premier et étymologique, au sens de partager avec l’autre ? Parler n’est-il pas alors ce qui me fait être avec les autres ? Or, l’auteur ne nie nullement qu’il y ait un aspect impersonnel et objectif à l’amour et à la haine. C’est bien ce que les mots expriment. Ce qu’il met en lumière, c’est que l’amour et la haine en tant qu’ils ne sont pas des réalités séparables de ces totalités que sont les personnalités, les reflètent. Il y a donc autant d’amour et de haine qu’il y a de personne. Il n’y a qu’un mot pour l’un et l’autre sentiment. Dès lors, c’est ce caractère unique que le langage ne peut exprimer. Aussi l’auteur ajoute-t-il à ses deux exemples, les milles sentiments qui agitent l’âme ». C’est dire que les sentiments au sens large ne sont pas séparables les uns des autres et qu’ils concourent tous à l’expression de l’âme. Qu’entendre par là ? Par âme, il faut donc entendre ce qui définit la personnalité de chacun, son identité et dont l’existence est absolument unique et originale. C’est en ce sens que l’âme se distingue du corps qui ne constitue pas une totalité dans le même sens. Reste donc à se demander s’il n’est pas possible d’exprimer d’une certaine façon l’inexprimable qui ne serait alors qu’un défaut quant à l’utilisation du langage et non une impuissance du langage lui-même. En effet, Bergson prend l’exemple du romancier. Selon lui, il réussit, grâce à la richesse et à la précision de la langue qu’il utilise, à donner des nuances relatives aux sentiments et aux idées qui s’expriment habituellement de façon impersonnelle. On pourrait commencer par s’étonner que l’auteur donne comme exemple le romancier dont l’œuvre par définition est celle d’une fiction. En quoi des personnages inventés peuvent-ils permettre de penser une quelconque vérité ? Ne serait-il pas préférable de s’intéresser à l’homme de science ou de savoir, notamment à l’historien qui connaît des vies individuelles ? Toutefois, n’est-il pas clair aussi que les personnages du romancier, même réels comme dans le roman historique à la Walter Scott 1771-1832 ou à la Alexandre Dumas 1802-1870 son disciple français, ces personnages nous intéressent ? N’est-il pas tout aussi clair que nous distinguons les bons et les mauvais romanciers ? Aussi le talent du romancier réside-t-il selon l’auteur en ceci qu’il réussit à redonner aux sentiments et aux idées une certaine individualité. Autrement dit, le langage ordinaire est non seulement impuissant à rendre compte des sentiments mais également des idées, c’est-à-dire des représentations des choses. Dès lors Bergson n’entend pas par pensée uniquement les sentiments dont nous avons conscience, mais également la pensée. On pourrait dès lors s’étonner que le langage soit impuissant à exprimer la pensée représentative car qu’est-ce qu’une idée, sinon l’essence même de la chose si on en croit le Cratylede Platon ? Et l’essence de la chose est justement la même dans toutes les choses qui ont la même essence. Mais une représentation peut soit noter de la chose ce qu’elle a de commun avec toutes les autres ou relever ce qu’elle a de singulier. Dès lors, l’idée en ce sens-là qui est celui que Bergson admet n’est pas plus exprimée par le mot que le sentiment. C’est ainsi que le romancier comme Stendhal 1783-1842 dans La Chartreuse de Parme 1839 qui décrit l’expérience de Fabrice Del Dongo à la bataille de Waterloo du point de vue de son personnage va exprimer et les sentiments et les idées de son personnage, idées et sentiments propres. L’admirateur de Waterloo parcourt la bataille sans véritablement comprendre où elle se situe. C’est pour cela qu’un personnage de roman ou littéraire de façon générale acquiert une dimension telle qu’il est possible ensuite que son nom exprime quelque chose. Dulcinée et don Quichotte de Cervantès 1547-1616, dom Juan de Tirso de Molina 1583-1648, Molière 1622-1673 ou Mozart 1756-1791 et da Ponte 1749-1848, la Bovary de Flaubert 1821-1880 en sont des exemples. Mais comment le romancier s’y prend-il ? Selon Bergson, il arrive à l’individualité en juxtaposant les détails, c’est-à-dire finalement en juxtaposant les mots. Cette idée de juxtaposition signifie donc que les mots restent extérieurs les uns aux autres et que par conséquent, elle laisse entendre que le romancier ne peut par cette méthode y arriver que par un travail infini. On pourrait même comprendre par-là pourquoi finalement la littérature ne peut jamais être achevée. Reste que cette impuissance programmée du langage demande à être explicitée. Est-elle simplement la marque que le travail de pensée et d’expression est proprement infini ou bien plutôt comme Bergson semble le laisser entendre que l’originalité véritable est dans l’âme et jamais dans l’expression. En effet, Bergson veut montrer que le romancier, quelques détails qu’ils ajoutent indéfiniment, n’arrivera jamais à donner leur individualité véritable aux sentiments et aux idées. Pour cela, il compare le procédé du romancier à celui d’une question qui a rapport à l’univers physique. En effet, soit deux positions d’un mobile, c’est-à-dire d’un corps qui parcourt un espace en un temps donné, il est possible d’intercaler entre eux une infinité de points. Dès lors, il est impossible ainsi de retrouver l’espace parcouru. C’est donc une mauvaise méthode pour saisir le mouvement que de tenter de le reconstituer à partir des points fixes parcourus par le mobile. On devine à peu près que le mouvement devra être saisi en lui-même. Il en va de même selon Bergson avec les mots. En les juxtaposant, nous ne faisons qu’associer les idées. Dès lors, celles-ci ne se pénètrent pas, c’est-à-dire ne forment pas cette unité qui est ce que l’âme ressent ou pense. C’est donc dire que les idées ne sont pas séparées dans la pensée. Elles sont multiples dans l’âme mais d’une multiplicité de fusion et non d’une multiplicité de juxtaposition. On comprend donc par cette comparaison que l’impuissance du langage est d’essence. C’est pour cela que Bergson l’exprime dans le vocabulaire des mathématiques antiques. La pensée est incommensurable au langage signifie qu’il n’est pas possible par le langage de rendre compte de la pensée qui est donc quelque chose de plus que le langage, quelque chose donc qui n’est pas réductible à la rationalité qui s’exprime dans le langage. Dès lors, pour Bergson, l’originalité d’expression sera toujours seconde et même insuffisante par rapport à l’originalité de la pensée qui en est l’essence même. Il faudrait même dire que cette originalité est en quelque sorte donnée et n’est pas le travail ou l’effort du sujet. Il est clair que toute la thèse de Bergson repose sur le présupposé que les mots représentent des réalités conçues séparément, c’est-à-dire abstraitement par opposition à la pensée qui est concrète dans la mesure où elle est toujours un tout singulier dont les parties ne sont pas séparables. Or, le sens que l’on accorde aux mots ne se limite pas à leur juxtaposition. C’est la raison pour laquelle on sait que le sens d’un mot dépend du contexte. C’est donc dire qu’une phrase, qu’un texte, un livre, une œuvre ont cette individualité, cette singularité que Bergson accorde à la seule pensée. Mieux, la simple pensée est finalement d’une grande pauvreté avant l’expression qui lui donne sa réalité. Je ne sais pas vraiment ce que je pense lorsque je pense sans rien dire et Merleau-Ponty, dans la Phénoménologie de la perception, a pu soutenir avec raison que dans le dialogue mon interlocuteur m’arrache des pensées que je ne me connaissais pas. C’est donc dire que l’expression loin d’être seconde est bien plutôt le moment même où la pensée peut apparaître en tant que tel de même qu’un mouvement sans espace parcouru n’a guère de sens. Dès lors, la pensée et le langage sont strictement commensurables. Le langage le plus banal trouve dans la situation de communication son sens. Ainsi l’expression de l’amour peut prendre le tour le plus banal dans l’expression tout en étant plein de sens pour les amoureux. Par exemple “Je t’aime” n’est impersonnel et objectif que pour celui qui ne ressent pas le sens du terme qui est tout entier dans l’énonciation et non dans son sens propositionnel. Je veux dire par là que celui qui s’exprime est impliqué dans ce qu’il énonce et que le sens général de l’expression n’est valable que pour celui qui entend de l’extérieur l’énoncé. Par contre pour l’énonciateur, il s’agit bien par l’expression, de penser son amour qui ne serait guère le même s’il restait tu comme celui de Cyrano pour la belle Roxane dans la pièce de d’Edmond Rostand 1868-1918. Le problème était de savoir si la pensée était telle que le langage ne puisse l’exprimer, c’est-à-dire finalement si nous ne pouvons jamais communiquer ou exprimer ce que nous pensons. Bergson, à partir de l’idée d’une pensée affective et représentative singulière, montre que le langage, toujours objectif et impersonnel, ne peut, même sous la forme de la recherche littéraire, exprimer la singularité. Toutefois, il est apparu que le sens des mots peut exprimer ladite individualité, non seulement par la totalité qu’il forme, mais également, en tant qu’énonciation.
Annalesgratuites Bac S : BERGSON, La pensée et le mouvant, 1934. Le sujet 2013 - Bac S - Philosophie - Commentaire d'un texte philosophique. Avis du professeur : Texte de Bergson très connu sur la vérité. Sans difficulté particulière pour un élève de S qui doit avoir un bon cours sur la connaissance et le réel. LE SUJET ET SON CORRIGE.
Le sujet de philosophie au bac S 2013 et son corrigé. Le corrigé Sujet 1 Peut-on agir moralement sans s'intéresser à la politique?Problème la morale relève de la question du Bien et du Mal et concerne l'individu et ses actions. La politique concerne, elle, la vie de Cité et l'espace publique, le permis et l'interdit au regard de la loi. On distingue en général moral et légal, la justice comme ordre social et comme ordre moral, et la morale est souvent présentée comme ce qui doit prendre le relais d'un légal insuffisant ou l'interroger. Donc morale et politique semblent être deux domaines distincts. Ce sujet difficile exige donc de penser cette distinction et de la penser au rebours de ce qui est souvent vu en cours. En somme, le sujet invite à se demander si on peut être démissionnaire au [u]Plan politique[/u] ne pas être un citoyen vigilant, intéressé et actif et être suffisant au plan moral? Est-ce que je peux être moral si je ne suis pas un bon citoyen? alors qu'en cours on se demande plutôt souvent s'il suffit d'être un bon citoyen pour être moral? I. On peut semble-t-il agir moralement sans s'intéresser à la politique la morale relève de la sphère privée et la politique de la sphère publique La politique, c'est ce qui concerne la vie de la Cité et sa gouvernance dans le sens de l'intérêt général, elle nous concerne en tant que citoyen face à nos concitoyens. La morale concerne, elle, nos actes en tant que sujet et individu face à toute personne. Je peux agir moralement au quotidien avec mes proches et prochains, sans pour autant m'intéresser à la question politique. La morale relève de la sphère privée, de l'universel. J'ai des devoirs en tant qu'homme et par delà les frontières de mon peut considérer que la politique est même un domaine où la morale n'a pas sa place on peut penser au Prince amoral de Machiavel, au fait que l'intérêt général et le maintien de la société exigent parfois des actes, des sacrifices discutables du point de vue moral. La politique concerne la légalité et l'extériorité de mes actes pour ne pas nuire à autrui, la morale concerne, elle, leur légitimité et les intentions, avec le souci de l' On peut cependant considérer que la politique relève en partie de la sphère morale Cette distinction politique/morale est moderne pour les philosophes de l'Antiquité, la Cité a pour but la réalisation du Bien. La Kallipolis de Platon est semblable à l'âme bien ordonnée conduite par la Raison, contenant les appétits. Donc l'enjeu de la politique est aussi le Bien et pas seulement l'ordre. Donc s'intéresser à la politique, ce serait s'intéresse à la réalisation, à l'avènement du Bien même si cette vision de l'Etat est discutable. Ce souci politique est aussi un souci peut penser que ne pas s'intéresser à la chose politique, c'est en quelque sorte prendre le risque de laisser persister ou devenir ce que la morale condamne. L'engagement politique est alors un engagement moral, c'est être libre et responsable. Pour Kant, c'est agir conformément aux 2 impératifs catégoriques du respect de la personne humaine en soi et en l'autre ne pas s'intéresser à la politique, c'est en quelque sorte se réduire à un moyen et laisser en partie d'autres décider de nos fins, même si on reste libre de suivre ou pas les projets de notre société et ses valeurs et de l'universalité de la maxime on ne peut se donner pour loi de ne pas s'y intéresser car on ne peut vouloir une démission générale. Donc s'il peut y avoir un confort dans ce désintérêt, il peut être moralement condamnable. Ce désintérêt croissant est ce qui menace les démocraties selon Tocqueville avec le repli sur la vie privée, le matérialisme et l'individualisme auquel on pourrait ajouter une certaine défiance vis à vis du politique aujourd'hui. Cet individualisme aveugle aux autres pourrait même devenir le sol d'un égoïsme, de l' être moral exige plus q'un simple intérêt pour la politique, il exige une action politique!S'il ne suffit pas d'être un bon citoyen pour être moral, être moral inclut de remplir son rôle de citoyen actif et vigilant obéir en résistant, c'est tout le secret » disait Alain.Participer à la vie politique, c'est participer à la vie de la communauté, avoir le souci de l'intérêt commun, c'est ce à quoi invite en un sens la morale même si elle va au-delà. Cela peut être fait en exerçant le pouvoir politique mais aussi en participant au tissu associatif, ce que suggérait déjà Tocqueville pour renouer avec la vie un sens chaque acte moral est un acte citoyen et donc politique, même s'il va à l'encontre des lois ou au-delà des lois. corrigé sujet 2 SUJET 2 Le travail permet-il de prendre conscience de soi?Problème le travail, c'est d'abord le labeur auquel nous sommes tous soumis en tant qu'animal soumis au processus vital et aux mêmes besoins qui ne nous distinguent pas les uns des autres mais le travail, c'est aussi le fait de transformer la matière ou un donné pour produire quelque chose, faire un ouvrage, une œuvre pouvant être en accord avec nos désirs qui eux sont censés nos appartenir et définir A travers celle-ci, on peut peut-être se reconnaître. C'est en tout cas la thèse classique de Hegel dans la fameuse dialectique du maître et de l'esclave ou de Marx qui fait du travail, le propre de l'homme. Ce sujet invite donc à penser les apports du travail en d'autres termes que celui du salaire ou du gain, sur la place du travail est-ce seulement un moyen de gagner sa vie ou de la réaliser en prenant conscience de soi à travers lui? L'article indéfini le » invite aussi à s'interroger sur la réalité du travail si le travail peut être le cadre d'une prise de conscience de soi, est-ce le cas pour tout travail? L'homme prend conscience de soi en dehors du conscience de soi, c'est se savoir être une seule et même personne et un individu distinct des autres ayant une identité définie par des éléments objectifs et subjectifs. Le travail est une activité plus ou moins pénible de production directe ou indirecte d'une réponse à nos besoins. Le travail nous rappelle que nous sommes TOUS des animaux ayant des besoins PROMETHEENS inadaptés et devant transformer le donné naturel pour survivre. Le travail ne permet pas ici une prise de conscience de notre individualité, il nous renvoie plutôt à notre condition humaine, à une des limites a priori qui esquissent notre situation en tant qu'homme au milieu des autres, mortel et au travail selon Sartre. On prend plutôt conscience de soi dans une introspection rendue possible après le travail qui peut être divertissement au sens de Pascal fuite de soi et qui est une occupation de l'esprit et des mains empêchant de penser à soi. On se retrouverait après le travail et dans des activités qui nous relèveraient du loisir Antiquité le travail est une activité indigne d'un homme libreLe travail comme LABEUR nous noie dans la masse industrieuse des hommes et on ne peut, semble-t-il, se réaliser et réaliser qui on est qu'en dehors du travail comme cadre d'une œuvre et prise de conscience de travail peut être lieu de prise de conscience et de réalisation de soi, s'il y a œuvre. C'est la thèse de Hannah Arendt et de Hegel. Le travail permet de s'inscrire en tant qu'homme et individu face à soi dans le monde, si dans l'animal laborans, il y a homo faber, si le fruit du travail, l'ouvrage n'est pas immédiatement dissous dans le processus vital de consommation. Nos œuvres portent notre marque personnelle, elles sont un reflet de nous face à nous, devant nous. On s'affirme comme homme et individu face à soi et aux autres. Cette exposition de soi face aux autres permet aussi la prise de conscience de soi, via leur pourrait dire que le travail est aussi l'occasion d'une découverte de soi par expérience. On découvre qui on est en faisant, en étant confrontant à certaines difficultés ou choix. Mais pour que cette prise de conscience ait lieu - encore faut-il qu'il y ait œuvre et donc absence d'aliénation du travail cf analyse de Marx, et que la productivité n'empêche pas originalité et créativité- encore faut-il que l'individu ne soit pas noyé dans une société uniforme que peut produire le travail comme labeur, qui est selon Nietzsche la meilleure des polices » tuant toute liberté, individualité et réduisant le travailleur à un encore faut-il que le travail ne soit pas présenté comme le seul lieu de réalisation de soi, sous la forme d'un diktat social. Le travail peut être le cadre d'une prise de conscience et de réalisation de soi mais ce n'est pas le seul. La prise de conscience de soi peut commencer par la prise de conscience de cette pression sociale, de ce courant social » qui peut empêcher d'être soi. corrigé sujet 3 Bac 2013 – Série S – Sujet 3 -Texte de Bergson TSL'auteur examine la question de la définition d'un jugement vrai. Si la réponse à cette question semble satisfaisante comme adéquation de la vérité à la réalité, il n'en reste pas moins difficile à comprendre que cette adéquation n'est pas à penser comme le rapport d'une copie à son modèle. La vérité ne copie pas la réalité affirme Bergson, ce qui met en question la définition du vrai. L'auteur appuie son argumentation sur l'opposition entre le réel singulier et changeant et les jugements sur la réalité qui, à l'inverse, sont généraux et stables. C'est par un exemple tiré d'une vérité physicienne qu'il illustre sa thèse en montrant qu'une vérité scientifique n'est pas la copie de ce qui se passe en fait, dans la réalité. Si la définition traditionnelle est par là même remise en question, qu'est ce que la vérité, quel est son rapport à la réalité ?I. Qu'est-ce qu'un jugement vrai ?D'après la définition classique de la vérité, un jugement est vrai lorsqu'il s'accorde avec la réalité. En ce sens la vérité est toujours un jugement sur les choses et, par le biais du langage, c'est une concordance entre la réalité et ce que nous en disons. Or Bergson s'interroge sur cette concordance en montrant qu'il ne s'agit pas d'un rapport de la copie à la réalité. Si tel était le cas, il y aurait une adéquation approximative car la copie est un dégradé de son modèle ; la vérité serait alors une convention, un pâle reflet au sens Platonicien de ce qui est. D'où la nécessité de définir la réalité indépendamment de ce qui en est dit , de toute représentationII. L'opposition entre vérité générale et réalité particulièreLe réel est singulier, il s'agit du réel dont nous avons affaire, de la perception sensible, qui est changeant et surtout subjectif. C'est notre perception sensible qui nous permet de l'appréhender mais qu'en est-il de la représentation que nous voulons exprimer par un jugement, par le langage ? La plupart de nos affirmations sont générales car on suppose que ce dont on parle ne change pas, que l'objet de notre jugement est relativement stable. D'autre part, on suppose que nos jugements sont universels, c'est-à-dire peuvent être partagés par L'expérience montre que la vérité n'est pas une copie de la réalitéBergson illustre sa thèse par un exemple qui montre que le jugement vrai n'est pas une copie de l'expérience sensible. la chaleur dilate les corps » est une proposition générale qui utilise des notions qui ne viennent pas de la ressemblance avec la réalité sensible qu'elle pense et permet de penser. Cette proposition vaut pour tous les corps en faisant abstraction des cas particuliers et des changements qui peuvent advenir pensons au morceau de cire de Descartes. Ainsi l'affirmation selon laquelle la vérité et une copie de la réalité est contestable. Car la vérité est un discours, elle dit quelque chose de la réalité, quelque chose de stable et d'universel alors même que le réel est variable et de ce texte est qu'il nous renvoie à la condition même du discours vrai mais aussi de l'activité de penser. En effet, notre esprit ne copie pas des réalités données dans l'expérience mais il est lui-même la condition de possibilité de saisir la vérité. C'est le sens du célèbre texte de Platon l'allégorie de la caverne » qui souligne que le monde sensible le monde de la caverne en lui-même n'est pas vrai mais que c'est par la pensée que se constitue le véritable discours logos = la raison permettant la vérité. Cependant, Platon ce rapport entre le monde sensible et le monde des Idées comme une véritable imitation, une copie de la véritable réalité intelligible. Bergson insiste sur l'opposition entre le monde réel et le jugement de l'esprit en montrant toutefois qu'il y a une différence qui ne se réduit pas à la représentation. Nous parvenons à des vérités par les jugements de la raison, c'est à dire par la construction de propositions,de concepts qui ne copient pas l'expérience sensible. La raison et le langage, désignés en grec par le même mot, LOGOS sont les conditions même de notre accès à la vérité c'est-à-dire à la connaissance de la réalité. Clarté du contenu Utilité du contenu kkkkmmmm publié le 14/10/2015 Clarté du contenu Utilité du contenu Signaler Lycée Bac général Bac techno Bac s Philosophie
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corrigé explication de texte bergson la pensée et le mouvant